Une partie de ces premières impressions ont été publié dans la revue Flèche
Le 2e et 3e jours, on a atteint les dunes: des espaces infinis, des vagues de sables à perdre de vue,un horizon à 360°. On marche, on marche, on marche et j’avais toujours cette foutue et agaçante impression que la mer allait enfin apparaître de l’autre côté de la prochaine dune… Mais non! Une fois que j’eu compris, le désert m’a avalé. Du sable, du sable, du sable, du sable sans fin, une douceur en courbes voluptueuses qui s’étire dans un camaïeu de beige, d’écru, de terre de sienne, de couleur peau, cuir, chameau, minérale, or, poussière, blé, caramel, abricot, miel et que notre regard avale sans interruption. Je suis rentrée dans le désert ou c’est lui qui est entré en moi m’inspirant l’envie de m’y fondre, m’y rouler, m’y perdre, m’y poser, reposer tout comme l’envie de m’en détacher et de m’envoler. Ces vastes étendues ont étrangement quelquechose de très sensuel et de très libérateur. D’ailleurs j’ai eu du sable longtemps dans l’entre-semelle de mes souliers de marche à mon retour!
L’appel du désert
Mon désir de désert remonte à un été lointain quand j’ai découvert lors d’une exposition à Paris les croquis et aquarelles croqués « sur le vif » d’Eugène Delacroix lors de son voyage au Maroc en 1832. Ces images de « l’orientalisme marocain » m’avaient beaucoup impressionnés. J’avais donc fait un voyage de Paris à Marrakech puis Tanger… mais n’eut pas l’occasion de voir le désert. Je me disais que j’y reviendrais un jour!
Puis mon projet s’est évanoui au profit de d’autres rêves et destinations. Mais l’automne dernier, à la lecture de « La nuit de feu » d’Erik Emmanuel Smith (qui se passe dans le désert d’Algérie), ce projet refait surface et une opportunité se présente à moi. C’est parti! À moi le Sahara (« désert » en arabe)! – le plus grand désert du monde, d’une superficie de près de 9 millions de km2 sur 10 pays de l’Atlantique à la vallée du Nil (Maroc, Mauritanie, Mali, Algérie, Niger, Libye, Tchad, Tunisie, Égypte et Soudan).
Un trek de 5 jours, 5 nuits au Maroc nommé : Oued Drâa, la rivière sans fin:
On a marché dans la vallée du Drâa, vallée mythique du grand sud marocain qui conduit en pays Maure (populations berbères de l’Afrique du nord) et vers les vastes plateaux du Drâa. Le paysage : des vagues de dunes, des grandes nappes rocailleuses, des palmeraies et des casbahs en terre de piset. La Vallée du Drâa s’étire sur près de 200 km, de Agdz à M’Hamid, en passant par Zagora. Oued signifie rivière ou « lit de rivière » et le Drâa est le plus long fleuve du Maroc avec ses 1 100 kilomètres.
Depuis Marrakech, nous avons traversé le Haut Atlas et le col du Tichka, situé à 2 300 mètres d’altitude et mis le cap sur Ouarzazate (5 heures de bus). Nous avons ensuite atteint Zagora, à 160 km au Sud de Ouarzazate; dernière ville saharienne sur la route du désert d’où partaient les caravanes pour Tombouctou jusqu’au 20ème siècle.
Sur la route, entre Ouarzazate et Zagora on a fait une halte pour se procurer un chèche, ce turban de 4 à 8 mètres de long, porté par les Touaregs (peuple de berbères nomades) et en Afrique du Nord en général. On se l’enroule sur la tête et le visage pour se protéger du soleil, du vent et de la poussière. Sa teinture à base d’indigo naturel, tiré à l’origine des feuilles d’un arbuste nommé indigotier – et connue depuis le néolothique- et tendait à déteindre sur la peau d’où le surnom d’« hommes bleu » des Touaregs. Aujourd’hui l’indigo naturel est remplacé par l’indigo de synthèse, qui lui ne déteint pas! La symbolique de l’indigo pour les Touaregs, la « septième couleur » de l’arc-en-ciel, a la vertu d’apaiser les esprits tourmentés et d’atténuer la rudesse du désert. Elle permet aussi de se fondre dans l’univers par sa couleur qui se fond à celle du ciel.
Une fois à Tagourite, le dimanche soir, on a installé notre premier bivouac et le lendemain atteint à pieds les dunes de Tidri. Le mercredi on a marché jusqu’aux dunes de l’erg lihoudi, puis, le lendemain, atteint la palmeraie de M’hamid où on a traversé quelques villages dont celui de Bounou, maintenant abandonné et datant du 13e siècle. On a ensuite atteint notre dernier bivouac, à Ouled Driss, dans un campement aménagé où l’on a dormi sous des tentes traditionnelles berbères.
5 nuits et 4 jours de marche dans le désert à raison d’environ 30 km par jour (soit environ 4h30 de marche le matin et 2 heures en fin d’après-midi). On se levait vers 6h30 am pour partir avant 8h et profiter de la fraicheur avant que le gros soleil de midi – jusqu’à 34 degrès ne nous tombe dessus! On s’arrêtait ensuite pour le lunch – une sieste et l’on repartait vers 16h. De longues journées! Et un repos bien mérité le soir sous la voie lactée.
Notre caravane :
Nous étions une caravane de 11 participants en provenance des 4 coins du Québec, un cuisiner (le sympathique El Houssein) ainsi que deux chameliers et notre guide : Mohammed x trois! Le prénom de Mohammed est très répandu puisqu’il est donné au premier garçon de la famille comme Fatima à la première de la tribu. Nos deux chameliers viennent du village berbère de Tagounit et ils guidaient les cinq dromadaires qui portaient nos bagages et le matériel.
Notre bivouac
Vous croyez que notre bivouac ressemblait à ça?
Pas tout à fait! Un nombre grandissant d’expéditions se font dans le désert, dont beaucoup d’une nuit ou deux en bivouac par des agences de luxe offrant des campements de ce genre – avec même des toilettes! Très loin de la réalité finalement. Ce n’est pas du tout le genre d’expédition que nous avons fait. Le trek des Karavaniers se veut authentique et à l’image de ces caravanes transsahariennes et de celles des nomades du désert d’aujourd’hui.
Un bivouac est un campement rudimentaire permettant de passer la nuit en pleine nature. On avait deux tentes principales, soit une pour le cuisinier et une autre pour manger et se retrouver autour d’un bon repas ou d’un thé à la menthe. On avait des tentes que l’on partageait à deux.
Nos chameliers berbères chantaient souvent le soir des mélodies sahraouies (des habitants du désert saharien) en s’accompagnant d’un tambourin couvert de peau de chèvre.
Nos dromadaires
Aussi appelé « Chameau d’Arabie » d’où son origine, le dromadaire est proche parent du chameau mais il n’a qu’une seule bosse. Au Maroc il n’y a pas de chameaux mais que des dromadaires même si son maître est appelé chamelier. S’il fut longtemps indispensable à la vie des nomades, il est aujourd’hui surtout utilisé pour les méharées touristiques ou par quelques éleveurs ou nomades. Et non, il n’y a pas de dromadaires sauvages dans le Sahara! Un tel animal se vend entre 25000 et 30 000 dirhams (entre 3000 et 5000 dollars) alors ils ont tous ou presque été capturés! Un vendeur de bêtes peut se déplacer avec 600 bêtes pour aller les vendre à un éleveur…
La jolie bête peut facilement supporter jusqu’à 40 °C et grâce à ses coussinets sous ses pieds elle ne s’enfonce que très peu dans le sable. Il marche lentement, rumine et blatère… et sent très fort!! Chargé, il marche à une vitesse de 3 à 4 km/h. Il se nourrit de plantes épineuses et d’herbes sèches. Le soir les chameliers attachent leurs pattes de devant. Ils peuvent encore marcher mais pas trop loin!
Il est capable de porter environ 300 kilos de bagages sur son dos.
On a super bien mangé!
Notre cuisinier El Houssein a travaillé sans relâche, arrivant toujours à l’avance aux campements avec les chameliers et le matériel pour nous préparer des plats typiques exquis et copieux: tagine de légumes (patates, carottes, navet, courgettes, olives vertes), au poulet et citron ou d’agneau, couscous; le tout bien assaisonné de gingembre, cumin, cannelle, curcuma, poivre. Beaucoup de salades aussi; avec maïs, oignons, concombres, tomates, fromage, boulettes de poisson et par deux fois de succulentes sardines (en boîte, d’Agadir) agrémentées de câpres et de morceaux de citrons confits.
Le tout se terminait par des fruits (melons) ou des rondelles d’oranges saupoudrées de cannelle. Tous les soirs on avait une soupe, oui une soupe, avec pois chiches ou lentilles, tomates, oignions, coriandre. C’est que la soupe réhydrate et garde la température du corps tout comme le thé sucré à la menthe qui était au rendez-vous au moins deux fois par jour. Le soir, on savourait une tisane verveine. En matinée à la pause, on mangeait un mélange de fruits secs, noix, cacahuètes, petits biscuits et cacahuète sucrées au sésame de noix, figues et dattes. Un régal!
Oranges saupoudrées de cannelle
Le désert, que des dunes de sable?
Le Sahara est bien plus varié que je ne l’imaginais. Dans la vallée du Drâa, on croise un mélange de dunes, plateaux arides et palmeraies. En fait, dans le désert on retrouve 5 types de végétation:
Reg ou hamada : un plateau rocailleux, un désert de pierres, une vaste plaine jonchée de graviers et cailloux érodés par les vents. Le 1er jour nous avons serpenté dans un désert de cailloux, montagnes arides et canyons secs.
L’erg : C’est le désert de sable, produit final de l’érosion. Dans le Sahara, le sable couvre seulement 20% de la surface, les dunes étant posées sur le reg. Dans cet environnement sec ne survit pas grand-chose sauf l’acacia (souvent épineux), seul ou en bosquet et le tamarinier.
« Vivre au Sahara, pour une plante, n’est pas à la portée du premier pissenlit venu : ni le perce-neige, ni l’ancolie, ni la pivoine ne s’y trouveraient à leur aise. » (Théodore Monod).
Sous l’ombre d’un acacias: idéal pour faire la sieste!
Dunes: Le 2e et 3e jours on a marché que sur des dunes de sable, des espaces infinis, un horizon à 360°. Plus on avance et découvrons des vagues de sables à perdre de vue. On marche, on marche, on marche et j’avais toujours cette foutue et agaçante impression que la mer allait enfin apparaître de l’autre côté de la prochaine dune… Mais non! Que du sable, du sable, du sable sans fin, une douceur en courbes voluptueuses qui s’étire dans un camaïeu de beige, d’écru, de terre de sienne, de couleur peau, cuir, chameau, minérale, or, poussière, blé, caramel, abricot, miel et que notre regard avale sans interruption. Je suis rentrée dans le désert ou c’est lui qui est entré en moi m’inspirant l’envie de m’y fondre, m’y rouler, m’y perdre, m’y poser, reposer tout comme l’envie de m’en détacher et de m’envoler. Ces vastes étendues ont étrangement quelquechose de très sensuel et de très libérateur. D’ailleurs j’ai eu du sable longtemps dans l’entre-semelle de mes souliers de marche à mon retour!
Palmeraie : on y a accédé le mercredi, dans la région de M’Hamid, formée de palmiers dattiers qui maintiennent la fraîcheur. Le palmier donne des dattes, son tronc sert à la construction et ses palmes à la vannerie. On compte 2 millions de palmiers-dattiers et une quinzaine de variétés différentes dans la vallée et ses dattes sont succulentes.
Un fleuve dans le désert?
Durant l’Antiquité, le Drâa, formé de l’oued Ouarzazate et l’oued Dadès, désignait, non pas une vallée, mais le plus long fleuve du Maroc et coulait en permanence. Il se frayait un chemin et arrosait une oasis sur près de 200 km entre Agdz et Mahmid, traversait les montagnes de l’Anti-Atlas puis allait se jeter dans l’Atlantique. Mais aujourd’hui, ses eaux se perdent dans les sables. Le manque de précipitations dans le sud du Maroc donne lieu à un fleuve desséché qui sinue entre les montagnes arides et rocailleuses. Seules quelques poches d’eau surgissent à certains endroits ou il peut y avoir de 2 à 3 pieds d’eau. Comme la source est l’Atlantique, l’eau y est salée et il y a beaucoup de dépôts de sel.
Qui vit dans le désert?
Seuls quelques nomades et leurs troupeaux vivent dans ces immensités du Sud. En effet dans cette partie du sud marocain, ce sont souvent les nomades de la tribu berbère des Aït Atta qui vivent ici l’hiver. Ils s’y installent en famille avec leurs troupeaux avant de repartir en transhumance vers les hauts pâturages du Haut Atlas au début du printemps. Ils vivent sous de grandes tentes faites de poils de dromadaire et de chèvre. Certains se sont aussi installés dans des villes et villages, abandonnant leur vie nomade.
Les villages du désert
La vallée du Draa regroupe environ une cinquantaine de casbahs et de ksour (villages fortifiés) avec des habitations faites de terre, de paille et d’eau. À l’origine, la vallée du Drâa était une porte d’entrée du Sahara pour aller jusqu’à Marrakech pour les caravanes en provenance du Soudan et y apportant de la marchandise. Les casbahs et les Ksour étaient des sites de défense pour se protéger des tribus nomades et des pillards de caravanes. Zagora et les villages autour ont longtemps servi de lieu de repos aux caravanes qui traversaient la vallée. Pendant de nombreux siècles, l’axe a connu un traffic intense, reliant l’Afrique noire au-delà du Sahara aux ports et villes impériales du nord du Maroc. Il fallait deux mois de marche pour franchir entre 1 500 et 2 000 kilomètres. Les caravanes étaient parfois gigantesques avec des milliers de dromadaires transportant de l’ambre, des bijoux, de la gomme arabique, des peaux venues du Nord, du tissu, des dattes, du blé, etc.
À travers la palmeraie de M’hamid nous avons traversé le village d’ Ouled M’Hia : occupé à 20% par environ 200 habitants. On aperçoit des femmes coupant le blé ou transportant de grosses gerbes : c’est que le blé est la culture de base : couper le blé, le mettre en gerbes, le transporter dans les greniers de terre est l’activité principale des villageois.
Les fenêtres protégées par des grillages : les femmes cachées derrières pouvaient observer ce qui se passaient dans les rues sans que personne ne les voient.
À Ouled Driss, on a visité le Musée des Arts et traditions, installé dans l’ancienne maison du chef du village. On y découvre des objets anciens et traditionnels témoignant de la vie locale d’antan : ustensiles en bois et métal pour la cuisine, métiers à tisser, habits de femmes et d’hommes de la vallée du Drâa.
Tamegroute
Sur le chemin du retour on a fait un arrêt à Tamegroute, un village creusé dans la roche sur l’ancienne route de Tombouctou. Il doit sa célébrité à son importante zaouïa (un complexe religieux regroupant une mosquée, une école coranique et des salles de méditation) et la première bibliothèque du désert fondée au XVIIe siècle par Sidi Mohammed Ben Nacer. Voyageur érudit, il rapporta de ses voyages vers la Mecque des ouvrages de tous les pays arabes traversés. On y trouve des livres manuscrits de mathématiques, algèbre, astrologie, religion, littérature, poésie tannés dans l’écorce de tamaris, couverts d’enluminures (indigo, safran, henné) et de calligraphies: 4 000 ouvrages dont le plus ancien date du XIe siècle écrit sur une peau de gazelle. La ville est aussi reconnue pour sa poterie, qui est verte.
Les animaux du Sahara:
De un : on a croisé que des insectes, des scarabées et de grosses araignées! Mais on aurait pu croiser des vipères à cornes, des couleuvres, des gerbilles, des gerboises, des fennecs (renards des sables), des hérissons du désert, des caracals (lynx du désert), des caméléons, des lézards, des scorpions … et des cobras (des « Naja haje legionis » une variante du cobra nommé aussi « cobra d’Égypte ». Mais ils sont en voie d’extinction (voir l’article à venir sur le sujet). Fiou!
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